Retour sur le programme d’encadrement des jeunes professionnel-le-s du droit

P1080392Ce samedi 13 octobre 2018, le BDHH a organisé dans ses locaux une activité réunissant toute son équipe ainsi que ses partenaires afin de réaliser un retour sur le programme d’encadrement des jeunes professionnel-le-s du droit sensibilisé-e-s aux droits humains que mène le BDHH depuis 3 ans.

P1080470Des attestations et certificats de stage ont été remis aux 17 étudiants et avocats stagiaires qui ont déjà finalisé un stage auprès du BDHH. L’occasion de les entendre parler de leurs expériences et de leur vision de l’organisation et du combat en faveur des droits humains.

P1080460P1080420

L’activité s’est clôt par une joute oratoire spéciale opposant 4 membres de l’équipe juridique – Me Nathan LAGUERRE, Me Misstherly CASSEUS, Me Uel Davidson OLIVIER, Me Gina Colin BLANCHARD – autour du thème : « La justice est-elle dans la punition? »

P1080497 Discours de Pauline LECARPENTIER, Secrétaire générale

Bonjour à tous, à toutes, à chacune et à chacun.

Je voudrais partager avec vous en ce jour mon plaisir et ma satisfaction.

Ce pays d’Haïti est complexe, souvent insaisissable.

C’est un improbable carrefour qui m’a fait croiser sa route il y a plus de dix ans, et depuis, il reste pour moi une énigme mais aussi un livre ouvert où l’on peut si facilement lire les paradoxes de la vie.

Le pays, en tout cas, on peut le dire, il va mal. Lorsqu’on essaye de poser un regard sur les réalités, celles de tous les jours comme celles du pouvoir, l’image est rude, froide, parfois dramatique. Les institutions se meurent d’incompétences, d’indifférences, de calculs, d’arbitraires, de corruption, d’ingérence, de trafic d’influence…

Un douloureux sentiment de décrépitude, face à un lent et incessant sabordage.

Dans ce pays qui s’est tant battu pour la dignité des hommes et des femmes, il reste si peu d’intérêt public, si peu de politique au sens noble du terme, si peu de droits…

Pourtant, ne peut-il y avoir d’espoir que dans la fuite ? …

A contre-courant de ceux qui souhaitent tant partir, la vie un jour m’a amenée ici.

D’ici quelques jours, j’aurais 35 ans. Peut-être le plus bel âge de la vie ? Celui où l’on construit, où l’on est prêt à s’attaquer aux montagnes. Celui où l’on a si l’on en a la chance et peut être la volonté les moyens de bâtir l’avenir.

C’est le sentiment que j’ai depuis trois ans aux côtés du BDHH.

S’attaquer aux montagnes. Construire l’avenir.

Prendre sa part de responsabilités, et faire son bout de chemin. Non pas seul, mais auprès des autres, et avec eux.

Qu’est ce qui a fait que la dynamique s’est si bien et si vite enclenchée ? Qu’un cercle vertueux se soit mis en place, rassemblant des énergies si positives ?

C’est presque insaisissable, cet élan qui porte le BDHH depuis 3 ans maintenant. Et, je dois vous le dire, c’est cette énergie qui donne du sens à ma vie ici. A ma vie tout court.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour faire un bilan d’étape de notre programme d’encadrement des jeunes professionnel-le-s du droit sensibilisé-e-s aux droits humains. Pour honorer les 17 étudiants et jeunes professionnel-le-s qui ont mené un bout de chemin aux côtés de l’équipe juridique et prêter main forte aux activités d’assistance légale qui constituent la pierre angulaire des interventions du BDHH.

Dès la 1ère édition, le Concours de plaidoirie sur les droits humains nous a animé d’une certitude : les talents et l’engagement sont là, ils ne sont pas tous partis. Malgré les nombreux obstacles qui se dressent sur leur route, le pays compte de nombreux jeunes brillants et engagés. Des jeunes qui ne demandent qu’à trouver une place pour s’exprimer et s’impliquer. Cette place se fait cependant de plus en plus rare. Le monde du droit a toujours été fermé. Il l’est particulièrement envers les femmes et les jeunes issus des classes moins favorisées.

Le BDHH a progressivement invité des jeunes étudiants et avocats stagiaires à intégrer son équipe. Devant le succès des premiers essais, ce programme de stage prend chaque jour plus d’ampleur et représente aujourd’hui une des dimensions incontournables de nos activités.

L’occasion rare pour ces jeunes de confronter leurs connaissances théoriques à la pratique judiciaire ; de se former à la procédure, reine du procès ; de comprendre le fonctionnement – et les dysfonctionnements – du système judiciaire ; d’être confrontés in concreto aux violations des droits humains et d’accompagner effectivement les victimes ; de réfléchir sur l’éthique, la déontologie, et de tester au jour le jour les bonnes pratiques à développer dans la profession d’avocat.

L’occasion pour eux de faire leurs premières traces dans le milieu, mais aussi pour le BDHH de semer de petites graines qui grandiront – peut être – pour essaimer tout le système et bâtir dans l’avenir un véritable réseau de professionnel-le-s du droit à la fois intègres, qualifiés et sensibilisés aux droits humains.

Mais les stagiaires n’ont pas fait qu’apprendre. Ils ont beaucoup donné aussi. Le BDHH ne serait pas là aujourd’hui sans la contribution et l’engagement de cette équipe protéiforme et sans cesse régénérée. Il est l’heure de les remercier pour leur investissement, leur apport, leur intérêt, leur dynamisme.

Le pari était là, de vouloir mener de front l’action et la formation, quitte parfois à rendre flou la frontière entre les deux. Il faut répéter le leitmotiv du BDHH depuis ses débuts : « ce n’est pas parce que l’assistance légale est gratuite qu’elle doit être donnée au rabais, au contraire. L’assistance légale peut être un outil de mobilisation du système judiciaire dans le sens des bonnes pratiques ».

C’est aussi un excellent outil de formation et de sensibilisation pour la nouvelle génération, si on l’associe pleinement, et efficacement, à l’expertise judiciaire. Si on lui donne les moyens de se dire qu’un chemin est possible pour enrayer le cercle vicieux de la dégradation des structures et de la déresponsabilisation des acteurs.

Le changement au sein du système judiciaire ne pourra venir sans un renouvellement des hommes et des femmes qui le composent. Il ne pourra venir d’acteurs isolés repliés sur leurs mauvaises pratiques. Le BDHH est convaincu que le changement ne pourra venir que de la renaissance de la société civile, de sa capacité à se faire entendre et à jeter des ponts entre les milieux militants, universitaires, professionnels, culturels et artistiques.

Le BDHH est une organisation haïtienne spécialisée dans la prise en charge légale des cas de violations des droits humains qui se propose comme relais légal pour les luttes sociales et les organisations de la société civile. Les stagiaires ont joué et jouent encore davantage un rôle essentiel dans cette mission, en faisant le lien entre le monde étudiant et la vie professionnelle, entre les réflexions théoriques et l’action concrète.

Ce que nous faisons n’est bien sûr qu’un grain de sable dans la vie de ces futurs professionnels.

Ce n’est qu’un grain de sable, parfois non négligeable, dans celle des bénéficiaires que nous accompagnons chaque jour.

Mais comme le dit l’histoire que je lis chaque soir à mon fils, une pomme, + une pomme, + une pomme, égale… une tarte aux pommes.

Ce n’est qu’un grain de sable … qui viendra peut-être troubler l’engrenage des dysfonctionnements du système.

Nous attendons donc d’en récolter de nouveaux fruits.

Je voudrais finir cette introduction avec une citation du poète péruvien Antonio Marchado :

« caminante, no hay camino.

Todo pasa y todo queda,

Pero lo nuestro es pasar,

pasar hacienda caminos,

caminos sobre el mar,

Nunca persegui la gloria

Ni dejar en la memoria

De los hombres mi cancion

Yo amo los mundos subtiles

Ingravidos y gentiles

Como pompas de jabon.

Caminante, son tus huellas,

El camino y nada mas,

Caminante, no hay camino

Se hace camino al andar »

 

« Marcheur, il n’y a pas de chemins.

Tout passe et tout reste,

Mais le propre de l’homme est de passer

Passer en faisant des chemins

Des chemins sur la mer.

Je n’ai jamais cherché la gloire,

Ni cherché à laisser dans la mémoire

Des hommes ma chanson

J’aime les mondes subtiles

Légers et aimables

Comme des bulles de savons.

J’aime les voir se peindre

De soleil et de rouge, voler

Sous le ciel bleu, trembler

Et soudainement se rompre.

Toi qui marches, ce sont tes traces

Qui font le chemin, et rien d’autres

Toi qui marche, il n’existe pas de chemins

Le chemin se fait en marchant ».