Discours de la secrétaire générale pour la finale de la 8ème édition

Phase finale de la 8ème édition du Concours de plaidoirie sur les droits humains,

Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, 28 juillet 2023

 

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Discours de Pauline LECARPENTIER 

La 8ème fois. C’est la 8ème fois que nous avons la chance, le plaisir, l’honneur, de préparer ce moment si particulier, cette phase finale qui vient clore une incroyable aventure humaine débutée durant l’année 2015 : le Concours de plaidoirie sur les droits humains.

La 8ème édition est passée si vite cette année, et, bizarrement, presque sans difficultés ! Ce qui ne veut pas dire, loin de là, qu’il n’y en a pas, des difficultés. La vie des gens est parsemée d’embûches, d’embuscades, de coups bas. Comme ces malheureux, affolés, chassés par les gangs, qui, croyant obtenir un peu de protection devant les murs d’une ambassade, se sont vu déguerpir il y a deux jours par la police nationale.

Mais c’est comme si, contrairement à l’année dernière, celle d’avant, celle d’avant encore, le temps nous offrait un instant suspendu. Nous avons tout fait pour le saisir, pour ne pas risquer de le gaspiller, comme une parenthèse enchantée. Dès le premier tour, le choix a été fait d’aller le plus vite que possible, sans reprendre notre souffle, pour ne pas nous retrouver physiquement bloqués, comme l’année passée.

Nous avons enchaîné tours après tours, débats après débats, nous nourrissant de l’énergie des participants, de leur enthousiasme, de leur soif de trouver, de s’approprier un espace pour exister, un espace pour se voir, s’entendre, s’écouter ; un espace pour vivre, tout simplement, pour prétendre à un peu plus que cet état de survie qui fait succéder les jours aux jours.

Un espace, et un peu de temps.

Durant ces trois dernières semaines, ce sont 28 débats que les 32 candidat-e-s présélectionné-e-s ont successivement mis en scène cette année. Pour, et contre. Avec, à chaque fois, ce même plaisir de la contradiction, de l’opposition constructive qui s’anime sous nos yeux. Cette conjugaison, si particulière à la plaidoirie, de l’espace et du temps. Du mot, qui prend son sens dans le moment.

Le temps. Une mesure bien étrange.

Le temps démocratique, celui des rendez-vous institutionnels et des élections, est pratiquement mis sur pause depuis deux ans, que dis-je, depuis quatre, même six ans. C’est ce temps qui par négligence, indifférence ou méchanceté a conduit à la déstabilisation, l’une après l’autre, de toutes les institutions. La permanence, comme l’a si bien dit un candidat, du provisoire… Ce temps qui rend pertinente la question de savoir s’il faut, dans ce contexte, nommer des magistrats en dépit de l’absence de Président de la République. Certains, pour un mandat de dix ans…

Personne ne peut savoir de quoi demain sera fait. Le temps des annonces et des spéculations s’allonge. Le temps de voir si des sanctions successives provoqueront, selon les éléments de langage, des “changements de comportements” ; si la justice haïtienne en tiendra un jour compte, et reprendra, sur ce sujet comme sur d’autres, la parole. 

Alors que le quotidien de centaines de milliers de personnes se détériore de jour en jour, on parle d’urgence : humanitaire, alimentaire, sanitaire, sécuritaire… Tout est urgent, mais rien ne presse. Il faut laisser le temps au temps. Mais le petit pourra-t-il aller à l’école la semaine prochaine ? Tant de mères se retrouvent seules face aux nécessités de leurs enfants. Nous avons vu passer au BDHH plus de 600 d’entre elles, cherchant une solution pour s’en sortir, pour tenter d’offrir plus que le présent, un devenir à leur enfant. Que faire quand les pères ne respectent pas leurs obligations légales, et ne versent pas de pension alimentaire ?

Au BDHH, nous n’avons pas pu ne pas nous poser la question éthique du recours à la contrainte par corps. Parce que notre mission est d’abord de faire sortir les gens arbitrairement détenus en prison. Mais aussi parce que cet outil prévu par la loi est un trompe-l’œil, dans un contexte où la majorité de la population vit avec si peu de moyens. L’Etat n’a-t-il pas ici un rôle à jouer? N’est-il pas temps de mettre en place un véritable système d’allocation familiale, ou encore, dans un premier temps, un système d’intermédiation, qui permette de garantir le versement de cette obligation légale en déchargeant le parent responsable des éventuels recours à porter au mauvais payeur ?

J’écoutais un jeune avocat de notre équipe me dire avant-hier qu’il avait l’impression d’avoir fait un pas. Bizarrement, certaines choses frémissent dans ce temps stagnant. Après pratiquement cinq ans sans assises, le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince accueille ces derniers jours quelques audiences criminelles. L’occasion pour notre équipe juridique de plaider, enfin, le dossier de Evest A. arrêté le 26 avril 2014, après une bagarre. Il a été jugé ce jeudi, et condamné à 1 an de prison. Il en a fait 9, et sans notre intervention, plus, certainement.

8 ans de trop… Qu’est-ce que le temps, au pénitencier national situé à quelques pas de cette Cour, dans une petite cellule où s’agglutinent plus de 150 détenus, sans toilettes, sans aération, sans sortie, sauf pour le bain, une fois par jour ? Sans date, sans perspective de libération ? Ce temps se mesure t-il à la taille des enfants qui continuent à grandir, seuls, dehors ? Au nombre de codétenus morts, les uns après les autres, de choléra, de tuberculose ou, encore, « d’anémies » ? Ou, pour dire mieux, aux nombres de jours sans manger un véritable repas ?  

Qu’est-ce que le temps pour un système judiciaire qui a perdu tout sens de l’humanité, tout sens même de la peine et de sa quantité ?

8 ans, c’est le temps écoulé depuis que le BDHH a commencé à fonctionner. 8 ans pendant lesquels l’équipe juridique sans cesse renouvelée a offert des services d’assistance légale à plus de 3177 personnes, obtenue plus de 215 libérations, réalisé 264 médiations familiales, traité 143 ententes et 106 ordonnances en pension alimentaire, reconstitué près d’un millier d’actes d’état civil.

8 ans scandés par tant de difficultés ! Mais 8 ans aussi à voir grandir la relève, ces jeunes, qui, avant vous, ont participé au concours, et puis sont devenus. En 8 ans, le BDHH a encadré plus de 91 stages : stages d’intégration professionnelle pour les jeunes licenciés, stage recherche pour les étudiants partis en Master, stage d’avocats pour ceux et celles qui ont, après tant d’efforts, réussi à intégrer le Barreau. Quatre de ces anciens stagiaires viennent hier d’intégrer officiellement la magistrature… Ils prêtent aujourd’hui-même serment à la Cour de Cassation … malgré l’absence de Président de la République. Nous ne pouvons que leur souhaiter de remettre les pendules à l’heure de la justice.  

La plupart de l’équipe juridique du Bureau des Droits Humains en Haïti est aujourd’hui composée de ceux et celles qui, avant vous, ont donné voix à ce Concours. Mme Michel Watsnya Deborah, demi-finaliste de la 7ème édition, assistante légale. Me Jean-Baptiste Nem, demi-finaliste de la 4ème édition, et Me Stepherly Murielle Paillant, finaliste de la 5ème édition, avocats stagiaires. Me Miki Julien, avocat collaborateur, demi-finaliste de la 3ème. Me Rebecca Revaly, participante de la 2ère édition, avocate stagiaire, assistante à la coordination et maîtresse de la présente cérémonie.

Me Revaly est revenue il y a quelques mois d’un master en droit international et droit humanitaire réalisé à l’Université Aix-Marseille, en France. Elle retourne au pays ce qu’elle a appris durant ce temps d’étude. D’autres, malheureusement, beaucoup, se perdent dans cet autre temps, celui de l’étranger, de l’ailleurs, un choix personnel mais un temps, vu d’ici, neutralisé …

Alors aujourd’hui, c’est à vous, chers candidats, Denisca Berlindia Medina et Dylan Volcy, demi-finalistes, Wogensky Laguerre, finaliste, et Rub-Nadelle Placide, lauréate de cette 8ème édition du Concours de plaidoirie sur les droits humains (notons que, pour la deuxième fois, c’est le Cap qui a remporté le tournoi!) ; à vous qui avez marqué le temps du jour, posé votre empreinte dans cet impressionnant Palais ; à vous alors de transformer l’essai, de le mettre, finalement, ce but, pour replacer au centre du débat la justice !