Inauguration du bureau Sud du BDHH aux Cayes

 

Discours de Pauline Lecarpentier, Secrétaire Générale

Le 8 décembre 2021

Chers partenaires, chers invités,

Je suis heureuse de pouvoir, par la voix de Laetitia, être parmi vous aujourd’hui. L’inauguration de ce local aux Cayes marque une étape importante pour le Bureau des Droits Humains en Haïti, alors que nous venons de fêter il y a quelques mois nos cinq ans d’existence.

Cinq ans que cette dynamique s’est lancée, ancrée dans les expériences de ses différents membres fondateurs, alimentée au fil des années par les nombreuses personnes qui ont participé de près ou de loin à ses activités.

Je crois plus que jamais, dans ces temps difficiles, que l’avenir démocratique d’Haïti se trouve dans la régénération de sa société civile. La solution ne pourra pas venir d’ailleurs. Elle ne pourra venir que d’ici, que des personnes qui s’impliquent au quotidien pour faire changer les choses, pour reconstruire l’idée même de l’intérêt public.

Il faut donc créer du collectif, l’animer, l’alimenter, créer des choses que l’on n’imaginait pas, imaginer des choses qui en rendent possibles d’autres.

Depuis le début, notre credo est de créer des ponts entre les mondes, professionnels, universitaires, militants, culturels. En tant que professionnels du droit, nous avons voulu offrir notre expertise juridique aux victimes de violations de droits humains et aux organisations qui les accompagne, mais aussi prolonger cette expertise sous d’autres formes, en amont et en aval de l’action judiciaire.

C’est un pari, je crois que je peux le dire, réussi aujourd’hui. Le BDHH est une organisation reconnue par les acteurs, par les autorités, par les jeunes étudiants, mais aussi par le grand public. C’est une organisation qui est respectée pour la ligne stratégique qu’elle a réussi à développer, axée sur l’intégrité, la compétence, la transversalité, l’indépendance.

Le BDHH a réussi à aller au-delà de la logique de projet qui détruit tant d’initiatives, à construire une dynamique sur le temps-long, à consolider une institution qui dépasse l’addition de ses membres. Comme juriste française, arrivée en Haïti par des chemins inattendus, je suis fière d’avoir pu contribuer à cette grande aventure.

Ce ne sont pas les obstacles qui ont manqué.

La Suisse, dont je salue la présence auprès de nous dans cette cérémonie, a été à nos côtés au démarrage de nos premières activités, en septembre 2015, et nous a accompagné à plusieurs reprises durant ces 5 dernières années.

La planification de ce programme Assistance Légale et Droits Humains, démarré en avril 2020 pour une durée de trois ans, représente un tournant important pour la consolidation de notre institution et le déploiement de nos activités.

Ce programme, cofinancé par la Coopération Suisse et d’autres partenaires, notamment l’Ambassade de France, la Fondation haïtienne Connaissance et Liberté (FOKAL), l’organisation américaine AJWS et la fondation américaine NED, reprend les quatre axes d’intervention qui ont fait la force du BDHH ces dernières années : DEFENDRE, FORMER, INFORMER & REFORMER, SENSIBILISER.

Outre les activités d’assistance légale aux personnes vulnérables, qui constitue toujours le cœur de notre intervention, ce programme nous permet d’intensifier l’encadrement des futurs professionnels du droit à travers l’organisation du Concours de plaidoirie sur les droits humains, la structuration des stages d’intégration, l’organisation d’ateliers et de formations de hautes qualités. Le Concours, national, attire chaque année plusieurs étudiants du Sud. Quant à la formation sur les droits humains, les deux premiers modules ont déjà été proposés en parallèle à Port-au-Prince et aux Cayes. Les deux derniers modules sont en train d’être programmés.

Ce programme nous donnera plus de moyens pour développer notre pôle recherche en lien étroit avec nos activités légales. Outre les conférences et les réflexions autour des réformes législatives et les dysfonctionnements de la justice, le BDHH compte publier plusieurs ouvrages, rapports, capsules multimédias, afin de renouveler et vulgariser les connaissances juridiques.

Ce programme nous permet également d’intensifier la création d’outils de sensibilisation originaux associant le monde culturel et artistique ainsi que les victimes bénéficiaires de nos services. Nous avons pu faire voyager dans cette ville il y a quelques semaines la pièce de théatre GOUYAD SENPYE, créée et jouée avec d’anciennes détenues.

Je suis fière de pouvoir présenter aujourd’hui, en cette journée de lutte contre les violences faites aux femmes, notre dernière création, KAWOL KOWOSOL, petit film en stop motion adressé aux plus jeunes pour partager des outils concrets de lutte contre les violences. Ce film, ainsi que le précédent, TWA FEY, réalisé en marionnettes, vont être emmenés dans le jours à venir dans une tournée nationale à travers les alliances françaises qui passera bientôt aux Cayes.

Je suis fière de vous annoncer que le film 407 JOU, que vous pourrez visionner à la fin de cette cérémonie, vient de recevoir le prix du meilleur court métrage documentaire du prestigieux Festival FIFAC en Guyane. 407 JOU, tout comme TWA FEY, sont sélectionnés dans plusieurs festivals internationaux (Clermont Ferrand, Grenoble, Australie, Canada, Sénégal, Guyane,…) et c’est un honneur de pouvoir ainsi faire traverser les frontières à ces œuvres qui portent autant la vitalité artistique de ce pays que la dénonciation des horreurs qu’il traverse aujourd’hui.

Vous l’aurez compris, ce programme ALEDH nous donne les moyens non seulement de donner de l’ampleur à nos activités, mais aussi de les faire voyager, à l’extérieur des frontières mais aussi dans le pays.

Depuis la fondation du BDHH, ses membres ont exprimé le souhait de ne pas se cantonner, comme tant d’autres, à la zone métropolitaine, et succomber ainsi à sa force centrifuge. Dès sa naissance, le BDHH a eu un pied dans le Sud, et un regard vers les problématiques de la justice en milieu rural.

Cet ancrage s’est renforcé depuis 2017 et le développement du projet pilote sur la justice des mineurs permettant au BDHH de mettre en place, dans le cadre d’un partenariat avec Terre des Hommes Lausanne et grâce à un financement de l’Union Européenne, une petite équipe juridique pour accompagner les mineurs en conflit avec la loi dans les trois juridictions du département du sud – Coteaux, Aquin, Les Cayes

Si cette initiative a été couronnée de succès, elle nous a également permis de mesurer les besoins immenses et les attentes qu’elle pouvait susciter.

C’est dans ce cadre que nous sommes particulièrement heureux, à travers le programme ALEDH, de pouvoir consolider notre présence dans le Sud, cristallisée avec l’ouverture de ce bureau qui offrira à notre équipe renforcée et aux futurs bénéficiaires un espace de travail et de rencontre précieux.

Nous avons la chance de pouvoir compter sur un professionnel de qualité, magistrat de formation, ancien fonctionnaire de la Minustah, pour superviser désormais l’équipe des Cayes. Me Marcello JEAN LOUIS a la charge d’animer une équipe composée d’avocats, d’avocats stagiaires et d’étudiants stagiaire, et assistée par une secrétaire juridique et une équipe de soutien. Nous tenons particulièrement à saluer aujourd’hui Me Fortius, Me Duversaint et Me Saint Fort, avocats et avocats stagiaires, qui se sont tant investis depuis deux ans pour le développement de cette équipe et ont réclamé si fort son déploiement. Le Bureau sera amené à couvrir les trois juridictions tout en travaillant en lien étroit avec l’équipe de Port-au-Prince, sous la supervision de Me Jacques LETANG.

Au-delà de l’accompagnement des personnes victimes de détention arbitraire, qui constituait jusque-là le cœur de nos activités dans ces juridictions où les conditions de détention sont particulièrement inhumaines et dégradantes, nous sommes en train de développer et renforcer les partenariats avec les institutions et organisations afin de développer, sur le modèle de nos actions à Port-au-Prince, un réseau de référencement afin de prendre en charge les victimes de violences basées sur le genre ainsi que les dossiers si nombreux de pension alimentaire et garde d’enfants.

Nous sommes par ailleurs particulièrement enthousiastes à l’idée de développer un pôle sur la reconstitution des actes d’état civil, qui permettra de combattre cette terrible défaillance en matière de droit à l’identité, qui est à l’origine de l’exclusion de trop nombreux haïtiens, aggravée jusqu’à présent par les dégâts causés par l’ouragan Mattew.

C’est un vaste programme qui nous attend. Nous sommes heureux de pouvoir compter dans cette aventure sur l’appui de la Suisse, qui partage avec nous cet attachement pour cette côte sud et a su construire des programmes de partenariats solides et structurants, accompagnant les dynamiques locales tout en respectant l’intégrité de leurs acteurs.

Nous sommes heureux de pouvoir compter sur les collaborations existantes et celles à construire avec les institutions et les organisations présentes sur le département. Loin de se perdre dans des logiques de doublons, nous devons nous inscrire dans une dynamique de réseau, d’entraide, de soutien mutuel, afin de faire concrètement, à notre niveau, avec nos moyens, changer les choses.

Merci.