Des lettres mortes, ou comment l’art peut faire revivre les mots

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« Labonté Marcel. Le 21 septembre 2015 »

Un petit papier parmi tant d’autres. Un petit papier parmi les centaines récupérés il y a quelques mois, des mains d’un commissaire du gouvernement qui les accumulait jour après jour, dans un vieux sac plastique.

IMG-20170630-WA0009Des feuilles mortes.

Tous ces hommes, toutes ces femmes entassés entre les murs d’un Etat qui s’effondre. Les murs s’effondrent, mais les hommes et les femmes restent là, entassés, étouffant d’oubli.

Et ces mots qui, comme jetés à la mer, coulent avec le bateau…

Labonté Marcel a été arrêté le 8ème mois de l’année 2008. Il a écrit cet appel à l’aide le 21 septembre 2015. Il est mort, en prison, le 8 février 2017. Ces murs sont devenus sa tombe. Après 9 ans de détention arbitraire. Sans jamais avoir été jugé.

Durant les funérailles organisées pour Marcel et des dizaines d’autres détenus en février 2017, le Bureau des Droits Humains en Haïti a manifesté son indignation devant la catastrophe sanitaire qui se répand au Pénitencier.

Le BDHH accompagne aujourd’hui la famille de Marcel pour demander justice.

S’il était trop tard pour lui, l’histoire aurait pu être différente pour Thomas Dilus. En prison, il a entendu parler de l’appel public du BDHH durant ces affreuses funérailles collectives. Il est entré en contact avec l’équipe en avril 2017.

Après de nombreux efforts, nous étions parvenus à déterrer son dossier pour qu’il soit enfin mis « en état d’être jugé ». Comme celui de centaines de détenus, son sort aurait dû se dénouer durant les assises criminelles de cet été.

Thomas DILUSMalheureusement, celles-ci n’ont pas eu lieu. Grève des greffiers. Cette année, personne n’a été jugé. Thomas Dilus, lui, ne le sera plus jamais.

Il est décédé dans la nuit du 30 au 31 juillet. Après 5 ans de détention préventive.  « Prolongée », comme on dit. Interminablement provisoire.

Avec sa famille, nous demandons encore justice.

Heureusement, l’histoire s’écrit parfois d’une autre manière. Il y a quelques mois, nous entrions en contact avec le Festival 4 Chemins pour monter un projet théâtral sur la prison, avec d’anciennes détenues libérées et membres du groupe de victimes de l’arbitraire.

aquarelles libérés nov2017 04 rnA cette occasion, Guy Régis Jr nous a parlé de l’un de ses amis marionnettistes, détenu arbitrairement depuis près d’un an. Prenant en charge son dossier, les avocats du BDHH ont réussi à obtenir une main-levée.

Paul Junior Casimir est sorti le 23 mai 2017. Lors de sa venue au bureau, j’ai esquissé son portrait, comme je le fais pour chaque bénéficiaire, après chaque libération.

Puis nous avons parlé d’art, d’injustice. De marionnettisme.

Et nous nous retrouvons là, aujourd’hui, pour cette exposition. Par l’entremise et le talent de Guy Régis.

Le BDHH a aidé Lintho à retrouver sa liberté, il met aujourd’hui sa force de création au service de l’indignation.

La pièce de théâtre, elle, sera jouée dans quelques jours.

« Enfermé(e)s – libéré(e)s ». Ce projet, comme un pont sur la mer.

Ou quand l’art redonne vie aux mots.

 

Pauline Lecarpentier, le 07 novembre 2017.

Secrétaire générale du Bureau des Droits Humains en Haïti (BDHH) – Biwo dwa moun

A l’occasion du vernissage de l’exposition « Enfermé(e)s-libéré(e)s » de Paul Junior Casimir dit Lintho et Pauline Lecarpentier

Installation de Guy Régis Jr

Dans le cadre du projet « Prison éternellement préventive »

En prélude au 14e Festival Quatre Chemins :

un mois sur le milieu carcéral haïtien