Portrait #1 Libération de Fanette P.M.

Dans le cadre de son programme de prise en charge de dossiers de personnes victimes d’arbitraire et de violations des droits humains, le Bureau des Droits Humains en Haïti se propose de dresser une série de portraits de personnes oubliées pendant quelques mois, souvent plusieurs années, dans les méandres du système judiciaire et pénitentiaire. L’occasion de montrer les réalités humaines qui se cachent derrière cette notion parfois abstraite de « Détention préventive prolongée » … Ce premier portrait retrace le parcours de Fanette P.M., libérée ce vendredi 15 avril 2016 après plus de 12 mois passés en prison.

Fanette a été arrêtée le 28 mars 2015 suite à une plainte de son employeur chez qui elle vivait. Sans aucune explication, elle a été emmenée en garde à vue où elle a passé plus de dix jours avant d’être incarcérée à la prison des femmes de Pétion Ville. Durant toute la durée de sa détention, elle n’a été interrogée par le juge qu’une seule fois, et n’a pas été tenue au courant de l’évolution de son dossier. En un an, elle n’a reçu aucune visite, et n’a même jamais pu avoir ses proches au téléphone. Elle explique en créole :

La prison n’est pas douce. On se sent constamment humiliée. On mange la même chose chaque jour, de la bouillie le matin, du riz – si l’on peut appeler cela du riz – l’après-midi, avec la même sauce aux harengs, chaque jour. On est bien obligée de prendre quelques cuillères, si l’on veut se maintenir en forme. Pour prendre une douche, c’est encore toute une complication. On se sent vite découragée. Il y a la chaleur, pas d’électricité, pas de ventilateur, pas de lumière. On est parfois 15, 20, dans une chambre prévue pour 8 personnes. On dort dans le fait-noir. Les ravètes passent sur vous… Dès que je suis sortie, j’ai jeté tous mes vêtements, ils étaient plein de bêtes « aquarelle_Fanette2

C’est en mars que l’équipe juridique du BDHH a été alerté de sa situation. Par une requête, les avocats avaient effectivement demandé depuis l’été au Parquet de se déplacer à la prison pour constater l’existence de cas laissés à l’abandon. Un Substitut avait finalement fait parvenir une liste de noms… Parmi eux, Fanette, dont l’ordonnance de renvoi avait été rendue depuis le 15 décembre 2015, sans que rien ne se passe.

Me Jean Baptiste, avocat collaborateur du BDHH, a rencontré Fanette à la prison le 8 mars 2016. Suite à plusieurs déplacements et de nombreuses démarches, l’ordonnance a finalement été signifiée, et l’audience fixée pour le 11 avril. Me Jean Baptiste s’est déplacé au Tribunal de Croix des Bouquets, accompagné de Sarah Maude Belleville, conseillère juridique volontaire pour Avocats Sans Frontières Canada, et de Daniel Pierre Philippe, étudiant stagiaire au BDHH. Lors de sa plaidoirie, l’avocat a clairement démontré qu’aucune infraction n’avait été commise, et que le dossier était absolument vide de preuves.

Audience du 11 avril 2016
Audience du 11 avril 2016

Devant l’évidence des faits, le juge a entièrement fait droit aux arguments de Me Jean Baptiste et a ordonné la remise en liberté immédiate de la prévenue. Mais, par un retournement étrange comme il en arrive souvent dans le milieu judiciaire, les policiers de la Direction de l’Administration Pénitentiaire, profitant d’un moment d’inattention de l’avocat, sont malgré tout repartis avec Fanette à la prison… S’ensuit un long et rocambolesque parcours si habituel pour les défenseurs : une fois retourné à la prison avec l’ordre de remise en liberté immédiate, Me Augusma se voit opposer par les greffiers un refus catégorique sous le prétexte que l’ordre étant immédiat, il n’est désormais plus valable! Il faut  alors retourner au Tribunal pour parvenir à obtenir un nouveau papier…. pour retourner le lendemain à la prison et attendre durant quatre heures le greffier, soudain indisponible… Ce n’est finalement que vendredi 15 avril vers 5H du soir, après une longue attente et le départ des avocats qui souhaitaient pourtant la ramener chez elle en voiture, que Fanette a finalement été relâchée, toute seule.

Lors d’un échange dans les locaux du BDHH, Fanette exprime un profond soulagement et remercie les avocats qui se sont occupés de son cas. Elle explique doucement :

Depuis un an, je pleurais matin, midi et soir. C’est parce que je suis une malheureuse que j’étais en prison, parce que je n’avais rien en main. Je ne pouvais demander à personne de me venir en aide … « 

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>> Le suivi de ce dossier par l’équipe du BDHH s’inscrit dans la continuité d’un projet mené en partenariat avec Avocats Sans Frontières Canada, grâce au support de la Coopération Suisse et de l’Ambassade du Canada. De nombreuses autres femmes comme Fanette, incarcérées de façon préventive depuis 1, 2, 4, 6, parfois 8 années, attendent désespérément que le système judiciaire se rappelle de leur cas.